Comment la Loi sur la concurrence du Canada est devenue du jour au lendemain une menace à la liberté d’expression

Au printemps dernier, Léger a pris le pouls de la population canadienne dans le cadre d’un sondage en ligne sur la liberté d’expression au pays. C’est avec consternation qu’on y apprend que 57 % des personnes interrogées estiment que la liberté d’expression est « quelque peu » ou « gravement » menacée au Canada.

De nombreuses raisons peuvent expliquer ce sentiment. Une revue de presse rapide permet d’en prendre toute la mesure. Mais qui aurait pu penser que la Loi sur la concurrence du Canada représenterait une menace à la liberté d’expression?

La plupart des citoyennes et citoyens ne connaissent pas les tenants et aboutissants de la Loi sur la concurrence et ne s’y intéressent guère. À moins d’être juriste, ce n’est pas une lecture très palpitante et il est difficile d’en comprendre les répercussions sur la vie quotidienne des personnes. Mais elle entraîne bel et bien des conséquences. Elle offre une protection importante aux consommateurs en veillant à ce que les entreprises n’atteignent pas une taille telle qu’elles peuvent contrôler le marché ou se livrer à des pratiques anticoncurrentielles comme la fixation des prix. Elle protège également les consommateurs contre la publicité mensongère ou trompeuse.

Tout récemment, les règles sur la publicité ont été élargies pour s’attaquer à l’écoblanchiment. Désormais, les entreprises doivent être en mesure de prouver toutes les affirmations qu’elles font sur la façon dont un produit ou une activité commerciale peut être bénéfique pour l’environnement. Voilà qui est sensé. Alors, quel est le problème? Comme pour toute chose, le problème réside dans les détails. Ou, comme dans le cas présent, dans l’absence totale de détails.

On est aussi en droit de se demander pourquoi ces modifications législatives ont été adoptées à peu de préavis, sans consultation et sans que les entreprises canadiennes aient eu le temps de donner leur avis. Elles ont été discrètement dissimulées dans un projet de loi plus vaste amendant d’autres textes de loi. La modification la plus préoccupante a été ajoutée à la dernière minute, juste avant l’adoption du projet de loi le 20 juin 2024.

Les lois sont optimales lorsqu’elles sont formulées de façon claire, en évitant toute possibilité d’interprétations multiples. Toutefois, les dernières révisions de la Loi sur la concurrence laissent la porte grande ouverte à l’interprétation. 

Par exemple, dans presque tous les secteurs d’activité au pays, vous trouverez des entreprises qui ont consacré beaucoup de temps, d’efforts et d’argent à des plans visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 afin d’aider le Canada à atteindre ses objectifs en la matière. En vertu de la loi révisée, il est beaucoup plus difficile et risqué de parler publiquement de ces projets. 

Sous peine d’importantes sanctions, y compris des amendes pouvant aller jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires annuel brut mondial, les entreprises sont désormais tenues de faire la preuve de leurs déclarations environnementales sur la base de « justifications adéquates et appropriées » – termes vagues et à connotations multiples – et conformément à un ensemble non précisé de méthodologies « internationalement reconnues » qui, dans de nombreux cas, n’existent peut-être même pas. Les entreprises sont donc laissées à elles-mêmes pour déterminer comment satisfaire à une nouvelle exigence de preuve si large et ambiguë qu’elle est essentiellement dépourvue de sens et sans précédent dans le droit canadien de la concurrence. 

Mais ce n’est pas tout…

Le Commissaire à la concurrence est chargé de faire appliquer les dispositions de la loi relatives à la publicité trompeuse. Toutefois, en vertu des nouvelles règles, les groupes privés, y compris les activistes, auront de nouveaux pouvoirs pour faire appliquer eux-mêmes la loi. Ainsi, un particulier ou un groupe pourra entamer une procédure judiciaire en s’adressant directement au Tribunal de la concurrence, en formulant des allégations concernant les revendications environnementales d’une entreprise et en affirmant que l’affaire est « d’intérêt public ». L’intérêt public est un tout nouveau critère qui s’ajoute à la loi. Il pourrait bien être interprété de toutes sortes de façons et donner lieu à des dérives.

En somme, prenez une exigence de preuve vague et dénuée de sens, ouvrez la porte à tous ceux qui profiteront de ses failles et laissez les poursuites frivoles s’amonceler au tribunal. Toute entreprise canadienne voulant faire connaître ses initiatives environnementales, même lorsqu’elle dispose de preuves solides pour étayer ses déclarations, y réfléchira à deux fois avant de le faire. Ses dirigeants ne consacreront ni temps, ni argent, ni efforts en sachant que l’entreprise s’expose à des risques de poursuites judiciaires qui pourraient s’éterniser.

Certains trouveront qu’il s’agit là d’une réaction excessive. Il faut toutefois savoir que les entreprises pétrolières et gazières sont souvent visées par des groupes d’activistes. Les nouvelles dispositions de la loi représentent donc un danger réel susceptible de limiter notre capacité à communiquer ouvertement avec la population canadienne. Elles sont adoptées à un moment où toutes les entreprises canadiennes subissent des pressions croissantes de la part des gouvernements, des investisseurs et du public pour communiquer plus – et non moins – au sujet de leurs programmes et leurs performances en matière d’environnement.

Pour le dire sans fard, les entreprises membres de l’Alliance nouvelles voies conviennent que les communications publiques doivent être exactes et justifiables. Nous n’avons d’ailleurs aucun problème à établir des règles claires à cet effet. Bien que les modifications à la Loi sur la concurrence soient déjà en vigueur, le Bureau de la concurrence subit de plus en plus de pressions pour fournir des lignes directrices qui permettront à tout le moins de réduire les incertitudes qui pèsent sur les industries comme la nôtre. Nous accueillons avec optimisme sa décision de tenir une consultation et nous espérons qu’elle donnera lieu à des directives explicites.

L’Alliance nouvelles voies et l’industrie pétrolière et gazière ne sont pas les seules concernées; toutes les industries du Canada qui souhaitent faire part de l’excellent travail qu’elles mènent sont ultimement visées par cette loi. Nous devrions toutes et tous nous préoccuper de l’érosion du droit à la liberté d’expression, que celle-ci soit intentionnelle ou non. 

Derek Evans

Président-directeur du conseil d’administration, Alliance nouvelles voies

Paru dans le Calgary Herald, 24 août 2024